dimanche 4 avril 2021

Ecole française Ernest Renan au Maroc: une femme noire et des singes

Jeudi 25 mars 2021, des élèves de CM2 de
l'école Ernest Renan à Casablanca au Maroc ont eu un exercice "Où vivent les grands singes?" où il fallait identifier une femme noire, placée entre un gorille, un bonobo, un orang outang et un chimpanzé. 

Des parents ont donné l'alerte. Le comité Parité et Diversité de 2M a relayé l'indignation des parents sur Twitter. Le Comité Parité et Diversité de 2M a dénoncé «cette indécence et cette inacceptable atteinte à la dignité humaine». Sur les réseaux sociaux, l'affaire n’a pas tardé à faire réagir.

Dans la journée les parents reçoivent un mail du directeur de l'école Sébastian Galard. Le mail parle "d'un exercice qui a pu, à juste titre, choquer votre sensibilité", expression très loin de la réalité des faits. Il s'agit d'une "maladresse inexcusable qui peut conduire à des amalgames". Il conclut avec les excuses de l'école.

L'école Ernest Renan fait partie du réseau de la mission française qui est rattaché au réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE).
C'est ainsi que dans la soirée un communiqué de l'AEFE est envoyé par mail aux parents où ils ont pu lire que l'AEFE qualifie le contenu de l'exercice de raciste et sexiste, c'est une "faute grave". L'AEFE a ouvert "une enquête administrative" afin de prendre « les mesures qui s’imposeront »

Le support utilisé par cette enseignante a été récupéré sur le site de la fondation "La Main à la pâte" LAMAP, une fondation de coopération scientifique française créée par l’Académie des Sciences et les Ecoles normales supérieures de Paris et Lyon, en 2011. Elle se dit avoir "pour mission de contribuer à améliorer la qualité de l’enseignement de la science et de la technologie à l’école primaire et au collège".

Depuis la médiatisation de cet exercice la femme noire a été remplacée par un bonhomme asexué identifié comme "humain". Et la question "où vivent les grands singes" a été remplacée par "où vivent les hominidés (ou "grands singes"). La Fondation LAMAP a tenu à user de son droit de réponse, dans un communiqué expliquant que cette photo a été conçue avec des enseignants gabonais pour une utilisation au Gabon et que la représentation de l'humain devait correspondre à l'environnement local.


Comment un tel exercice a pu être validé dans cet outil pédagogique. Comment une enseignante imprime et distribue un tel exercice sans se poser de questions.

Si les réseaux sociaux ont dénoncé le racisme et l'atteinte à la dignité humaine de cet exercice, le silence des intellectuels marocains est assez assourdissant. 
Les parents d'élèves de l'école, majoritairement marocains, ont, quant à eux, réagi via une pétition de soutien à l'enseignante et à l'établissement suite au communiqué de l’AEFE qui parlait de "prendre les mesures qui s'imposeront". La crainte de voir l'enseignante mise à pied et non remplacée à temps, perturbant la scolarité de leurs enfants, semble être la préoccupation qui a poussé à cette pétition, elle a, à ce jour a atteint 387 signatures. 
Les auteurs de la pétition ne reconnaissent pas le caractère raciste de l'image en parlant de "diffusion d'un exercice qualifié de raciste" et s'étonnent des réactions médiatiques en exprimant leur "profonde consternation quant à l’ampleur des réactions par rapport aux faits tangibles".

Pourquoi cette pétition ne reconnait-elle pas le "racisme" de cette image?
Est-on en présence de mauvaise foi? d'ignorance? de loyauté envers une enseignante qualifiée de sérieuse et dévouée? Ou le racisme anti-noir est si ancré dans la mentalité de certains marocains qu'ils ne voient pas l'atteinte à la dignité humaine dans cette image?

Ou alors est-on face à une réaction de parents qui se sentent obligés de soutenir un établissement qui a daigné accepter leurs enfants? Les inscriptions dans les établissements étrangers sont un véritable parcours du combattant au Maroc.


Racisme anti-noir et pays du Maghreb
Beaucoup de maghrébins rejettent leur africanité avec le sentiment de supériorité envers les noirs qui va avec. Qu’ils en soient natifs ou non, les noirs au Maghreb font très souvent l’objet de discrimination, de mépris et de déconsidération. On le ressent aussi bien dans les comportements que dans la sémantique du langage: des mots racistes et insultants sont utilisés sans gêne et de façon décomplexée. Ainsi voir une noire au milieu de singes ne choque pas.

Les écoles privées étrangères
Comme un peu partout dans le monde, l'enseignement public se vide au profit du privé.
L'état de délabrement de l'école publique au Maroc, malgré les revendications des enseignants dont les grèves sont toujours réprimées par la violence, pousse les parents à tout faire pour inscrire leurs enfants dans le privé. Aux côté des écoles privées françaises et américaines, des écoles privées marocaines ont fleuri. Il  y en a pour tous les portefeuilles pourvu que les enfants ne soient pas obligés de suivre leur scolarité dans l'école publique.

Malgré le succès des écoles américaines, les écoles françaises appelées aussi "la mission française", sont toujours recherchées symbole d'une garantie d'un diplôme qui donne accès à un enseignement supérieur à l'étranger.
Les enfants français ou enfants de diplomates y sont admis automatiquement, les enfants marocains doivent passer des tests anxiogènes même pour les sections des petits.
Donc une fois que les enfants sont inscrits, les parents doivent certainement se sentir obligés d'être des parents conciliants, qui ne contestent rien et ne revendiquent rien.
On le voir d'ailleurs pour l'école Théophile Gautier à Casablanca où il n'y a pas de cantine et tout le monde accepte sans piper mot. Les enfants sont emmenés dans un restaurant à proximité de l'école où leur sont servis des plateaux repas.

Ces écoles françaises profitent de la longue liste d'attente des familles pour ignorer toute demande ou requête des parents. Cela se ressent aussi sur les tarifs exorbitants qui sont de moins en moins justifiés ni par la charge salariale ni par la qualité des contenus. 
En effet beaucoup de familles notent une nette différence de qualité sur plusieurs générations. Par ailleurs la charge salariale a été réduite car les missions recrutent de plus en plus des enseignants locaux avec des salaires très inférieurs à ceux des enseignants détachés de France.

Cette affaire fait ressortir beaucoup de questionnements:
Les supports pédagogiques utilisés sont ils validés par l'éducation nationale en France?
Doit on former les enseignants sur la notion de racisme, vu que cette enseignante n'a pas été choquée, ni d'autres avant elles vu que ce support pédagogique a toujours été utilisé?
Pourquoi aucune sanction ni même des excuses  n'ont été envisagées? Pourquoi aucune réaction du ministère de tutelle ou du gouvernement?

Cet outil pédagogique est il une exception ou l'enseignement français perpétue insidieusement une pensée colonialiste et raciste dans les anciennes colonies françaises? C'est d'autant plus inquiétant que ces établissements français en Afrique sont des incubateurs des futures élites africaines.

Et si l'on pousse la réflexion encore plus loin, comment un pays africain peut-il avoir sur son sol une école qui porte le nom de Ernest Renan? Cet homme qui a défendu des thèses racistes de suprématie de la race blanche dans ses écrits sous couvert de pensée scientifique.


Débat sur cet article à suivre sur Maquis Pluriel en direct les mardis à 20h00 ou en replay.

Ilham Seghrouchni - Mémoire et Dignité

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