samedi 24 avril 2021

Transmission de la Mémoire de l'Esclavage: Gilles Roussi, sculpteur et artiste engagé


La loi du 21 mai 2001, dite loi Taubira, reconnait les traites et les esclavages comme crime contre l'humanité. 
La loi a été adoptée par le Parlement le  et promulguée le 
Le 10 mai a été choisi comme journée nationale de commémoration des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition" depuis 2006.
Du 07 au 12 Mai 2021 aura lieu "la semaine régionale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition". Cette semaine est organisée par le collectif Africa50 et les associations Jeunesse Art Culture Sport et Mémoire, Synergie outre-mer et le Conseil Représentatif des Français de l’Outre-Mer (CREFOM).
La situation sanitaire liée au Covid-19 a conduit à l'annulation de plusieurs évènements prévus cette semaine, les organisateurs ont néanmoins tenu à maintenir une émission table ronde débat "Loi Taubira, 20 ans après", qui sera enregistrée et diffusée à partir du 10 Mai sur les réseaux sociaux, parmi lesquels celui de la ville de Villeurbanne, plusieurs thèmes y seront abordés. 



Gilles Roussi participera à cette rencontre dans le panel "Lieux mémoriels". Il est né le 7 janvier 1947 c'est un artiste français, sculpteur, écrivain, et professeur aux Beaux-Arts à la retraite. 
Gilles Roussi avait une arrière-grand-mère, Edamine, née esclave à la Martinique, sa petite fille, Suzanne Roussi, tante de Gilles Roussi, sera, de 1937 à 1963, l’épouse d’Aimé Césaire. Un sacré héritage familial!
Gilles Roussi est un artiste engagé pour la justice, la liberté et le respect des droits de l'Homme, ses œuvres tendent à réveiller et éveiller les consciences. Ses sculptures sont interactives via des QR codes qui permettent tout en observant l'œuvre d'aller plus loin dans la compréhension, instantanément, en un click de smartphone. Ses œuvres allient robotique et nouvelles technologies tout en étant profondément ancrées dans l'Histoire.
En parcourant les écrits de, et sur Gilles Roussi, et après quelques échanges téléphoniques je découvre un homme d'une culture générale impressionnante, disponible et d'une simplicité déroutante, au vu de son talent et du travail colossal qu'il a à son actif. Mais ne dit-on pas que " la simplicité est la forme de la vraie grandeur"? (Francesco de Sanctis)
Gilles Roussi manie la malice, la répartie, le sarcasme, l'auto-dérision, la raillerie, l'humour avec finesse, c'est un plaisir de l'écouter et de le lire. On se régale à dénicher les piques et à déceler les différents niveaux de lecture de ses textes dont on apprécie la rigueur de l'argumentation.

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Gilles Roussi a eu la gentillesse de répondre à quelques questions.

Gilles Roussi vous êtes arrière-petit-fils d'esclave et neveu d'Aimé Césaire. Vous êtes sculpteur et avez travaillé sur des œuvres mêlant l'art et l'électronique ainsi que sur des œuvres sur la mémoire de l'esclavage. Du fait de cet héritage familial exceptionnel ne vous êtes-vous pas sentis obligé de travailler sur l'esclavage?

Certes je suis né avec une bonne fée qui a veillé sur moi , la chance insolente d’être élevé au sein d’une famille notoirement engagée, ce serait trop long à expliquer, mais comment envisager un autre destin que celui de poursuivre ce chemin tracé dès l’enfance? Je suis, par nature un être libre et à aucun moment je me suis cru "obligé", mais "concerné". Polytechnicien raté je m’en tire bien avec les honneurs que j’ose m’accorder.


En 1981 vous créez l'école des beaux-arts à Fort-de-France, l'année d'après vous êtes professeur à celle de Saint Etienne. Une école des beaux-arts doit elle accompagner des étudiants ayant déjà des capacités artistiques ou doit elle permettre de révéler les capacités créatives de tout un chacun?

En 1981 Mitterrand est élu, mais auparavant j’étais professeur à l’école des beaux-arts de Mâcon , le maire de cette époque avait programmé la fermeture de cette institution sous le règne de Giscard, je m’en était confié à Aimé pour répondre au ministre Raymond Barre qui avait eu cette phrase , pour le moins sibylline « si vous cherchez un emploi créez le vous même » , nourri de cette noble pensée je confiais à mon oncle le désir de créer une école de ce type . Il me répondit que cela dépendrait essentiellement des élections à venir...En 81 j’étais nommé chargé de mission pour la création de cette école, mais elle fût mise en place que huit ans plus tard, pour moi une école de cette nature doit répondre surtout à l’appétence des candidat , il y a toujours un artiste qui sommeille en nous , une école des beaux arts se doit de répondre à ce défi !

Vous êtes à l'origine de deux œuvres pour la ville de Saint Etienne: "le Plaidoyer pour les droits de l'Homme" et "la Liberté Inachevée" Des œuvres où l'on retrouve votre appétence pour la technologie. Quand une œuvre est commandée avec des cahiers des charges précis, comment faites vous pour que votre fibre artistique et votre créativité ne soient pas bridées?

Je reviens sur cette école de Fort de France, à l’époque on m’avait proposé la direction, j’ai refusé, car cette fonction m’éloignait de l’enseignement. Je demandais un poste d’enseignant et ce sans passe droit, j’étais en poste depuis sept ans à St Étienne, me présentant au concours je fus éliminé ! C’était lié au fait du cumul des mandatures, Césaire était député, Maire, et président du conseil régional , les « copains de ce dernier » firent à ce moment une mauvaise farce à Aimé le dénommé Darcière , président du jury m’élimina ...Sympathique ce monsieur ...Aimé n’y pouvait rien , je sus par la suite que le ministère n’était pas chaud pour ma nomination et ce pour deux raisons : j’étais plus diplômé que le directeur et aussi la volonté de Saint Étienne de me garder à mon poste …. et c’est pour cette raison qu’Aimé me commanda une sculpture pour la mairie...Son titre Liberté inachevée ! Curieusement cette sculpture a été démontée après le décès de Césaire .
Ça été , sur le plan historique , la première sculpture "déboulonnée" dans l’histoire de Fort de France ….Bien sûr aucun écho dans la presse, le plaidoyer pour les droits de l’homme c’est une autre histoire , mais qui n’a rien à voir avec l’abolition, en revanche la "Liberté inachevée" de Saint Étienne est une revanche à l’humiliation de Fort de France !
La nature de la commande est pour moi un défi et c’est là tout son intérêt , j’ai l’intime conviction que seule la notion de commande peut aboutir à l’œuvre, qu’elle soit induite par l’engagement personnel ou par la nature même de la commande . Pour illustrer cette pensée rapidement, je citerai l’anecdote de Picasso, un officier Allemand demandait à Picasso devant la toile de Guernica : c’est vous qui avait fait cette œuvre ? Picasso de répondre : non c’est vous !
Mon travail répond de manière récurrente soit à la commande de l’extérieur soit à mes obsessions qui résident essentiellement sur les questions de justice et de liberté.

Partant d'une volonté politique d’Emmanuel Macron qui veut "concilier les mémoires, en Juin 2020 un appel à candidature a été lancé pour la création d'un mémorial national des victimes de l'esclavage aux Tuileries à Paris. Ce projet a été suspendu le 8 mars 2021.
- Vous avez répondu à cet appel d'offre, pouvez vous nous décrire votre projet?
- Dès le départ le lieu choisi était dans un coin à l'écart et la superficie allouée restreinte, est ce révélateur de la place très réduite qu'occupe cette question dans l'Histoire de France?
-Pour quelles autres raisons, que l'inadéquation des lieux, ce projet a-t-il été suspendu le 8 mars 2021?

Il me faudrait des pages et des pages pour parler de ce projet, je vais essayer de faire bref :
Quand j’ai été averti par un ami journaliste de ce concours je me suis immédiatement inscrit sur la plate forme des marchés publiques ...Or à la lecture de l’intitulé je me suis tout de suite aperçu d’une part de l’impéritie de la commande et d’autre part de l’incongruité du rédactionnel.
Je formais mon équipe, un architecte et un graphiste, mon ambition résidait non pas de gagner mais d’être auditionner pour faire comprendre à ce jury leur incompétence et aussi pour être rémunéré pour notre recherche. M’étant renseigné sur cet appel d’offre je sus, assez rapidement que c’était un projet Macron !
Je me préparais donc à me confronter à un jury de choix !
Je confiais en Septembre à mon équipe : "la seule chance que nous puissions gagner c’est d’avoir Macron en président de jury, si je l’ai en face de moi nous remportons ce concours!"
J’avais analysé l’appel d’offre, à aucun moment on ne pouvait répondre au cahier des charges. 

Pour moi l’inscription des noms était l’élément majeur, de plus la proximité de «l’establishment » de Jean Marc Ayrault m’excitait un brin, en effet depuis trois ans j’avais sollicité ce dernier concernant un projet de sculptures sur la pédagogie de la colonisation ...pas de réponse ...dommage.. C’était intéressant au niveau de l’histoire de l’esclavage et de la colonisation.
Je n’en veux pas particulièrement à Ayrault, mais je ne suis pas un « fan »... que l’on recase un ancien premier ministre, maire de Nantes, à un poste aussi sensible, c’est de même nature que de traiter d’un mémorial concernant la traite négrière dans un triangle, c’est assez dangereux du point de vue polysémique.
Je continue…. Persuadé que je serais reconnu sur, d’une part ma pratique de sculpteur et d’autre part sur ma "lettre de motivation" je me préparais à "l’affrontement" ...N’ayant aucune nouvelle du résultat courant Novembre je me confiais à mon ami journaliste qui me répondit : te bile pas c’est le covid, toujours pas de nouvelles en décembre, ce dernier m’organisât un « zoom » avec un proche de Macron.
Je lui fit part de mes intentions ...Il me demandât alors de faire une lettre au président avec un dossier qu’il lui remettrait en main propre. Je rédigeais cette lettre en date du cinq Janvier. 
Sa secrétaire me confiât qu’ils allaient au château début Février, or à cette date j’ai appris que j’étais éliminé et que le concours battait de l’aile, en effet les candidats retenus étaient
majoritairement retenus par leur pratique de l’art contemporain ! Installations etc.
Je vais citer Mao Tsé-toung : “Il est nuisible au développement de l'art et de la science d'imposer par des mesures administratives un style particulier d'art ou une école de pensée à l'exclusion d'une autre.”
J’ai su, par un ami qui avait ses entrées au Ministère de la culture, que j’étais considéré comme un artiste ringard des années cinquante, ce qui fait de moi un artiste particulièrement précoce étant donné que je suis de quarante sept.
N’ayant eu aucune nouvelle de ma lettre au président, je fus avisé de la suspension du concours, (en tant que candidat) début février, impatient des décisions prises, étant dans la mouvance CM98, le président se voyait, à cette époque assaillit par les citoyens militants du CM98 des noms sinon rien !
Mon ami journaliste me confiât : Gilles écris à Macron….heu non écris à Brigitte ! 
Le 8 mars j’écrivais à Brigitte, le 10 Mars à 14h45 je recevais un SMS de la secrétaire du ministre délégué aux outres mers : Gilles nous sommes CONVOQUÉS à l’Élysée….le 19 j’étais avisé en tant que candidat par la plateforme des marchés publics que le concours était classé sans suite. Entre temps le 16 le quotidien l’Humanité en faisait sa "une" ….aujourd’hui le 20 Avril j’attends !

La transmission de l'esclavage et des abolitions se fait via des expositions, des œuvres et des interventions scolaires. Est-ce suffisant? Les artistes militants comme vous, les associations et tous les acteurs dans ce domaine ne devraient-ils pas plaider pour la création d'un musée national de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions qui serait une référence pour ce pan de l'Histoire de France,?

Bon...Si encore nous avions la satisfaction d’avoir de l’enseignement, de la vision d’une autre société, d’un comportement, bref d’un soupçon de connaissance à défaut de reconnaissance, ça serait "parfait" en dehors de ça on nous "donne" quelques "bonnes intentions" on recase un premier ministre aux hautes destinées, on nous amuse avec des propositions pédagogiques, mais le racisme larvaire, le mental colonial demeure, les ghettos persistent, et ce pour chaque ethnie ….le bruit et l’odeur !

Enfin comment avez vous vécu et vivez vous encore cette période de pandémie qui a vu l'art et la culture qualifiés de "non essentiels"?

Il y a le côté intime, certes ce n’est pas vraiment évident, mais je suis privilégié.. J’occupe une charmante maison du début du vingtième siècle avec un jardin ! Le rêve...

Pour ce qui est de la question culturelle, hé bien je ne souffre pas plus que ça, en effet le mépris récurent à l’égard de mon travail fait que je ne perçois pas aujourd’hui ce qui fait différence, aucune reconnaissance de ma pratique artistique c’est un peu le désert...il me manque cruellement les bistrots, les jeunes filles en fleur déambulant avec insolence dans les rues piétonnes de Saint Étienne, la vie quoi !
Quand à cette activité "non essentielle" je fais partie des gens qui considèrent que le ministère de la culture est par sa nature non essentiel; je m’explique si ont fait le calcul de ce que coûte un tel ministère au regard de ce qui revient aux acteurs, je parle ici des artistes, hé bien force m’est de considérer que le ratio est vite fait...le 80 % sont réservés aux fonctionnaires zélés qui font un choix souvent douteux de ce qui est ou n’est pas !
Les 20 % restant sont destinés aux "aides et autres babioles" cela étant due en majeure partie à l’initiative de François Mitterrand, qui, voulant bien faire a doublé le crédit ministériel ...que faire du trop perçu ? Réaliser des structures et engager une autre politique que celle imaginée par Malraux . Ce qui donne en résumé la société du spectacle et celle de la consommation directe .
La culture étant essentiellement considéré que d’un seul point de vue : le coté exclusivement
économique, la dernière apparition de notre ministre de la culture étant la remise de "commandeur" de la légion d’H.... pour l’auteur de je suis pour et le temps des colonies, rien à dire de plus à ce sujet, si ce n’est que la culture est surtout le fidèle reflet de notre civilisation, c’est à pleurer !
Pour terminer je citerais Huxley : la dictature parfaite: une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s'évader. Un système d'esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l'amour de leur servitude.

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Le projet du Mémorial des Tuileries a donc été suspendu le 8 mars car "des blocages ne permettent pas d’obtenir un consensus" explique-t-on à l’Elysée. Emanuel Macron devrait annoncer la suite à y donner prochainement. Le Président tient à ce projet comme réalisation phare de son quinquennat "La réalisation de ce mémorial, qui permettra d'honorer la dignité et l'humanité des victimes de l'esclavage, demeure pour moi une priorité"
Pour que ce mémorial voit le jour avant la fin du quinquennat, il faudra donc se "Hâter lentement" comme le conseillait Auguste, premier empereur romain, à ses généraux, 

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