dimanche 14 mars 2021

Mickaël Joron: messager infatigable et passionné de l'Histoire de la Réunion - Esclavage et Marronnage



La loi du 21 mai 2001, dite loi Taubira, reconnait les traites et les esclavages comme crime contre l'humanité. La loi a été adoptée par le Parlement le  et promulguée le 
Le 10 mai a été choisi comme journée nationale de commémoration des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition" depuis 2006.
Du 07 au 12 Mai 2021 aura lieu "la semaine régionale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition". Cette semaine est organisée par le collectif Africa50 et les associations Jeunesse Art Culture Sport et Mémoire, Synergie outre-mer et le Conseil Représentatif des Français de l’Outre-Mer (CREFOM).
La situation sanitaire liée au Covid-19 a conduit à l'annulation de plusieurs évènements prévus cette semaine, les organisateurs ont néanmoins tenu à maintenir une émission table ronde débat "Loi Taubira, 20 ans après", qui sera enregistrée et diffusée à partir du 10 Mai sur les réseaux sociaux, parmi lesquels celui de la ville de Villeurbanne, plusieurs thèmes y seront abordés.  
Mickaël Joron participera à cette semaine, il est un auteur-compositeur-interprète, dessinateur de bandes dessinées et réalisateur de courts métrages animés, né le 06 avril 1987 à Saint-Pierre - La Réunion. Il nous fait découvrir, entre autre, le marronage, cette révolte des esclaves, partie méconnue de l'Histoire de France. Retrouvez son impressionnant travail à travers ses livres/BD et vidéos.


Interview de Mickaël Joron Loni Gauliris


Mémoire et Dignité
Vous êtes auteur-compositeur-interprète, dessinateur de bandes dessinées et réalisateur de courts métrages animés. Vous avez 33 ans, quel est votre secret pour faire autant de choses et avoir autant de casquettes ?

Mickaël Joron
Bonjour, je suis honoré d’être interviewé par votre média. Pour répondre à votre question, je me laisse guider, je ne force pas les choses. Tout me vient naturellement, parce que j’aime ce que je fais. Alors rien n’est parfait bien sûr, l’erreur est humaine comme on dit et comme tout humain j’en fais. Néanmoins mon leitmotiv c’est la foi que je place en moi-même, en mes capacités et en la petite lumière qui me guide. Je suis un animiste, je marche beaucoup au ressenti, aux messages et aux signes. Tout est énergie et l’énergie ne ment jamais. Si je sens que je dois emprunter un chemin, le magnétisme des choses m’emmènera sur ce chemin. Ma polyvalence dans mes créations, vient aussi du fait que je suis issu d’une famille d’artistes. Je suis né avec cette vibre artistique, cette curiosité d’autodidacte. Je suis aussi quelqu’un de très indépendant, j’ai la manie de vouloir tout faire tout seul, ce qui a tendance à me jouer des tours. Je devrai être moins borné et apprendre enfin l’interdépendance. Mon secret c’est l’audace mais aussi la détermination. Quoique l’on dise de mon travail, qu’on l’encense ou qu’on le critique. Je sais que je dois continuer ma mission. Les réunionnais sont très proches de leurs ancêtres et pratiquent différents rites ancestraux. A un moment nos entités nous donnent des missions de vie, approuvées par l’être suprême. Tout cela pour diverses raisons, comme pour guérir la lignée, achever ou perpétuer une œuvre. Moi ce que je crois savoir, c’est que je suis dans une mission et que je n’ai ni le droit ni l’intention de m’arrêter.


Mémoire et Dignité
En 2019 vous créez l’association LOA « Leaders of Africa », pouvez-vous nous en parler?

Mickaël Joron
C’est une association qui a pour objectif premier une collaboration étroite entre la Réunion, le Mozambique mais aussi toute l’Afrique Australe. Nous sommes aussi dans la promotion de la culture afro-descendante de notre région. Nous sommes dans un territoire où nos populations sont liées par le sang, la culture, l’histoire. Le nom du LOA est inspiré des LWA du voodoo haïtien. Je compte moi-même une ancêtre haïtienne dans mon arbre généalogique. Notre organisation a pour base mon groupe activiste KOZ KAF, c’est le socle du LOA. Notre association est devenue internationale grâce à nos actions en Afrique de l’Est notamment au Mozambique (notamment lors de la levée de fonds pour les populations de Beïra et Cabo Delgado lors des passages des cyclones Idaï et Kenneth). On a aussi mis en connexion différentes entreprises et organismes réunionnais avec des sociétés et associations mozambicaines. Là encore nous avons été ouverts d’esprit et polyvalent dans la gestion du relationnel sur le terrain. Le LOA a donc différents contacts et ramifications que ce soit en Afrique du Sud ou au Mozambique. Dans l’esprit de la KOZ KAF nous étendons notre présence par la qualité des personnes et non par la quantité. Un bel exemple concret, c’est notre connexion avec Ivan Augusto LARENJEIRA, un philanthrope mozambicain, président de l’association IVERCA. Il a été nommé meilleur entrepreneur en 2019 par le ministère du tourisme mozambicain. Ivan a pris en main le ghetto de Mafala, un grand quartier de la capitale Maputo. Il a même construit un musée d’art en plein milieu du ghetto. Il a créé de l’emploi. Il est venu nous voir à la Réunion et nous avons créé le contact entre la KOZ KAF, LOA & IVERCA. Ainsi, sa vocation s’ancre dans le développement durable des liens entre les personnes volontaires et de qualités d’Afrique Australe.


Mémoire et Dignité
Vous vous définissez comme afro-réunionnais, pourquoi une telle terminologie ? Est-ce une volonté de faire une investigation mémorielle sur les origines à l’instar des recherches de Lisa AUBREY ?


Mickaël Joron
Afro-réunionnais est tout simplement un dénominatif utilisé pour souligner notre spécificité dans le pays réunionnais. Nous sommes la seule communauté à être arrivée sur l’île de la Réunion dans la cale des navires négriers. Nous avons donc une histoire spécifique qui diverge des autres communautés qui composent la nation réunionnaise. Ce n’est pas pour diviser mais pour souligner comme je l’ai dit plus haut. L’investigation mémorielle est nécessaire, le devoir de mémoire permet de ne plus recommencer les erreurs du passé, d’effacer l’ignorance et le concept abominable de la hiérarchisation des races. L’investigation mémorielle à l’image du travail de Lisa AUBREY, nous permet de nourrir l’égrégore de nos aïeuls, nous rendre plus fort et surtout nous aimer tel que la nature nous a faite.


Mémoire et Dignité
Les français originaires de l’immigration africaine devraient-ils adopter cette terminologie pour affirmer leur identité?


Mickaël Joron
En Europe, il y a des tas d’expressions pour définir la communauté noire présente depuis des millénaires sur le sol européen. A l’instar du Cheddar Man âgé de 10 000 ans, l’ancêtre noir des britanniques. N’oublions pas que la mutation des peuples est réelle dans le parcours de l’humanité. Ainsi en Grande Bretagne on peut entendre le terme Black British. Néanmoins quand nous disons Afro-réunionnais, cela n’énonce en mon sens aucune dissonance cognitive, la Réunion étant en Afrique Australe. Le réunionnais est par essence un africain, néanmoins rajouter le préfixe afro, met en évidence la particularité généalogique de la personne et n’entre pas ici dans une thèse racialiste. Tout le monde est libre de se définir comme il le souhaite, néanmoins en France, les afro-descendants sont bel et bien présents et ont joué un grand rôle dans l’histoire du pays. La communauté noire française existe, qu’on le veuille ou non. Beaucoup ont conscience de leurs origines africaines mais vivent sur le sol français depuis plusieurs générations. Ce ne sont en aucun cas des immigrés, si l’on s’en tient à la définition de ce mot. Les anglo-saxons appelleraient ces français, des Black French, en référence aux Black British. Je suppose qu’en français on dirait simplement des français noirs. Néanmoins, par mon histoire particulière avec la France, mes ancêtres ayant obtenus la citoyenneté française sur papier en 1848 ; Après l’abolition de l’esclavage. Je ne sais pas si je suis le mieux placé, pour répondre à cette question qui concerne spécifiquement l’immigration récente. Mon angle d’approche et ma vision des choses se retrouvent influencés par mon histoire personnelle. Cependant, j’ai tout de même tenu à vous répondre avec sincérité.


Mémoire et Dignité
Que pensez-vous de la semaine métropolitaine des mémoires de l’esclavage des traites et leurs abolitions qui sera organisée dans la région de Lyon par le collectif Africa50 et l’association Jeunesse Art Culture Sport et Mémoire autour du 10 mai ?


Mickaël Joron
Comme je vous l’ai dit plus haut, cela relève de la nécessité du devoir de mémoire et de l’investigation mémorielle. C’est une bonne chose, ce que font le collectif Africa50 et l’association Jeunesse Art Culture Sport et Mémoire. Mais surtout, c’est un acte indispensable pour que l’humanité grandisse. L’ignorance fait encore des ravages sur notre planète, d’où l’explosion de violence, mais aussi la pratique encore courante de l’esclavage sur des territoires qui n’ont pas fait la démarche du devoir de mémoire. L’éducation est le seul outil réellement efficace pour sauver le genre humain.


Mémoire et Dignité
Ces commémorations du 10 mai à travers la France sont-elles trop limitées à la traite transatlantique?


Mickaël Joron
Oui. Je pense qu’il faut étendre la question à aujourd’hui. L’esclavage est encore une réalité de nos jours. C’est une problématique actuelle et non passée. Néanmoins dans l’histoire, il n’y a pas eu que la traite transatlantique. Il y a eu de l’esclavage sur les 5 continents malheureusement.



Mémoire et Dignité
Grace à vos livres, bandes dessinées et vidéos, nous découvrons l’Histoire de l’ile de la Réunion : l’esclavage, le marronnage…. Pourquoi ce pan de notre Histoire est-il si peu connu en Métropole ?


Mickaël Joron
Pendant longtemps, cette période de l’esclavage et du marronnage a été volontairement mise sous tabou dans la société réunionnaise. Sous prétexte de ne pas déclencher de heurts. Nous avons beaucoup de points communs avec les brésiliens sur la question noire ; D’ailleurs même nos faciès sont similaires. Nous avons même des ancêtres communs, mozambicains, angolais ou même portugais. La Réunion a donc promu « le métissage et l’harmonie » comme imagerie populaire, occultant par la même occasion les questions sur la discrimination, la ségrégation sociale dans une société post-esclavagiste. Quand une question gênante est posée à la Réunion, on a tendance à montrer du doigt celui qui la pose. A l’époque On disait de la personne qu’elle voulait diviser, agresser la sensibilité blanche et généralement on la faisait taire. Pour que des gens comme moi puissent parler librement d’esclavage et de marronnage, beaucoup de mes anciens ont dû donner leur vie. Quand la société réunionnaise a accepté que l’on parle enfin de l’esclavage dans les années 70-80, cela s’est inscrit dans l’émancipation de la culture afroréunionnaise. En effet durant cette période on arrête l’interdiction absurde de jouer du Maloya (la musique des afro-descendants) et de pratiquer le Moringue (l’art martial des afrodescendants). Mais il n’est pas encore question de parler du marronnage. Parce que le marronnage sous entendait que les noirs n’étaient pas dans la victimisation mais dans l’autodéfense. En effet, le marronnage réunionnais a emmené la création d’un empire marron tout comme au Brésil ou en Haïti. Notre empire recouvrait 80% de l’île de la Réunion, un territoire où l’autorité du Roi de France ne valait rien. Les Rois et Reines marrons ont donc prononcé l’indépendance des noirs des montagnes de la Réunion. Le marronnage demeura donc une question taboue dans notre société. Néanmoins il faut rendre hommage aux deux historiens afro-descendants Prosper EVE et Sudel FUMA (paix à son âme) qui ont fait un travail gigantesque sur la période du marronnage à la Réunion. Tout cela grâce aux archives des procès-verbaux des marrons capturés qui décrivaient sous la torture le fonctionnement de l’empire marron. Il faut aussi remercier le médecin afro-descendant Louis Timagène HOUAT (1809-1883) et l’écrivain Ti Blan Eugène DAYOT (1810-1852) ; Deux contemporains des marrons qui ont fourni de multiples écrits sur cette période pittoresque. Pour toutes ces raisons, le récit de la période de l’esclavage et du marronnage réunionnais a eu du mal à arriver jusqu’en France. Mais les barrières sautent avec le développement de l’internet, des plateformes et des réseaux sociaux. Et croyez-moi, c’est une histoire qui mérite d’être connue car cette période nous montre la résilience de tout un peuple.


Mémoire et Dignité
Votre livre « Anecdotes illustres » ainsi que l’association LOA (Leaders of Africa) ont été répertoriés par la prestigieuse Bibliothèque Nationale du Congrès Américain. Votre livre « Mafia créole » est distribué au Japon et en Angleterre. Comment expliquer cette reconnaissance anglosaxonne et internationale du talent et des compétences indépendamment des parcours et des origines contrairement à la France ?


Mickaël Joron
C’est un phénomène que l’on remarque avec beaucoup d’artistes et sportifs français issus de l’immigration africaine et qui finissent par s’épanouir hors de France. Nul n’est prophète en son pays. C’est à cela que l’on reconnaît le travail authentique. Mon travail a tendance à déranger et c’est une bonne chose. Mais honnêtement en France il y a quand même une petite reconnaissance. C’est dans mon pays la Réunion que les choses coincent, parce que je parle de sujets brûlants. Mais je reste positif. Marcus Garvey lui-même a vu les jamaïcains lui tourner le dos à l’époque. Mais il était adoré en Afrique, aux USA (même s’il y comptait de nombreux ennemis) et en Angleterre. Ce n’est qu’après sa mort que les jamaïcains l’ont appelé prophète. On doit avoir le même karma lui et moi. Un exemple positif devant eux, quelqu’un à qui ils puissent s’identifier, une lumière pour ne pas sombrer.



Mémoire et Dignité
Vous êtes intervenant pour le Ministère de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports, quel est le contenu de vos interventions?


Mickaël Joron
C’est le même contenu que je dispense en vidéo sur ma chaîne YouTube « Papa Mike » mais en plus approfondi. Deux heures de cours sur l’histoire réunionnaise et surtout le marronnage, avec des ateliers ludiques mêlant dessins et écritures. Je parle aux jeunes de mon parcours de dessinateur, réalisateur, d’écrivain et je leur partage des techniques de créations. A chaque fois, je leur parle de ma vie dans les quartiers difficiles et de comment j’ai fait pour rester droit. Du nombre d’amis, cousins, oncles, connaissances qui ont perdu la vie durant leur jeunesse dans ma ville. Vous savez ma ville Saint-Louis a la réputation d’être dangereuse. Mais elle reste la ville de la tradition réunionnaise, de la résistance anti- esclavagiste et de la spiritualité animiste. Donc, quand je vais dans les écoles de ma ville, je veux mettre l’accent sur ce qu’il y a de positif. Quant aux sujets tels que les gangs, la drogue, les meurtres, les guerres de rues lors des périodes électorales, les journaux sont là pour en parler. Pour ma part, je veux que les collégiens voient un exemple positif devant eux, quelqu’un à qui ils puissent s’identifier. Une lumière pour ne pas sombrer










Ilham Seghrouchni - Mémoire et Dignité


2 commentaires:

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