dimanche 21 mars 2021

Claudette Colvin, l'autre Rosa Parks

Le 2 mars 1955 une jeune fille de 15 ans refuse de céder sa place de bus à une femme blanche. Nous sommes dans l'Amérique ségrégationniste, cet acte lui vaut une arrestation musclée. Cette jeune adolescente s'appelle Claudette Colvin, elle a osé cet acte de rébellion 9 mois avant celui de Rosa Parks, et pourtant l'Histoire ne retiendra que celui de Rosa Parks.
Les lois Jim Crow "separate but equal" séparés mais égaux

Ces lois, en vigueur de 1877 à 1964 avaient pour objectif d'empêcher l'effectivité des droits constitutionnels acquis au lendemain de la guerre de Sécession.
Les lois Jim Crow introduisent la ségrégation dans les services et administrations publics, les lieux publics et obligent à un minimum d'interactions entre blancs et noirs définis comme "gens de couleur".


La ségrégation dans les bus de Montgomery

"Dans les bus de Montgomery, les quatre premiers rangs sont réservés aux Blancs. Les Noirs, qui représentent trois quarts des utilisateurs, doivent s'asseoir à l'arrière. Ils peuvent néanmoins utiliser la zone centrale, jusqu'à ce que des Blancs en aient besoin ; ils doivent alors, soit céder leur place et aller vers le fond, soit 
quitter le bus. Comble de l'humiliation : si ces places sont occupées, les Noirs doivent bien acheter leur billet à l'avant, mais sont tenus de sortir avant de rentrer de nouveau par la porte arrière du bus pour accéder aux emplacements qui leur sont attribués."(Bus Montgomery)

Bien avant Claudette Colvin des noirs ont refusé de céder leurs places à des blancs dans ces bus, ils ont été arrêtés ou l'ont payé de leur vie. Ces cas ont été soutenus par l'organisation américaine de défense des droits civiques, la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People - association nationale pour la promotion des gens de couleur).

Claudette Colvin et son acte de désobéissance civile

Claudette Colvin est née le 5 septembre 1939 à Montgomery, elle fut adoptée par sa tante et grandit dans un quartier pauvre. Elle fréquente l'établissement scolaire Booker T. Washington High School de Montgomery de Montgomery où elle se rend tous les jours en bus.
Elle est une membre active du groupe de jeunes du NAACP (association nationale pour la promotion des gens de couleur)
Le 2 mars 1955 elle monte dans le bus et quand le chauffeur lui demande de céder sa place à une femme blanche, elle refuse et reste assise. Elle est arrêtée. C'est une première, Claudette Colvin a défié le chauffeur de bus, la police et d'est opposée aux lois ségrégationnistes. Elle est sa familles risquent également des représailles de la part du Klu Klux Klan.
Jo Ann Gibson Robinson, et Rosa Parks, membres de la NAACP lèvent des fonds pour recruter un avocat, Claudette Colvin est libérée sous caution. Elle reste accusée par la ville d’avoir troublé l’ordre public, violé la loi de ségrégation et agressé les policiers qui l’avaient sortie du bus.
Martin Luther King, jeune pasteur encore inconnu, prend fait et cause pour son affaire. Claudette Colvin reçoit plus de 100 lettres de soutien. Elle plaide non coupable. À l’audience, le président du tribunal a rejeté les deux premiers chefs d’accusation mais a gardé celui de l’agression. Elle va bénéficier d'une liberté surveillée sous la garde de ses parents. Son avocat fit appel sans succès.

La NAACP voit dans cet évènement l'occasion de lancer une campagne de boycott contre les compagnies de bus et de contester juridiquement les lois ségrégationnistes.
Ils pensent faire de Claudette Colvin le symbole de cette lutte. Finalement cette idée est abandonnée, Claudette Colvin ne convient plus aux membres de la NAACP, elle est écartée et progressivement oubliée.


Rosa Parks sera le symbole de la lutte pour les droits civiques

Dès lors le 1er décembre 1955 quand Rosa Parks refuse de se lever dans ce bus de Montgomery, cet acte apparait comme programmé et non comme un acte spontané. Tout le monde connait la suite, Rosa Parks est érigée comme l'icône de la lutte antiségrégationniste, le pasteur Martin Luther King lance pendant 380 jours une campagne de boycott contre la compagnie de bus.
Le 13 novembre 1956 la Cour suprême des États-Unis casse les lois ségrégationnistes dans les bus, les déclarant anticonstitutionnelles.
Lors du discours de Martin Luther King sur le courage de Rosa Parks, à aucun moment il ne mentionne le nom de Claudette Colvin. Elle est définitivement effacé de l'histoire par sa propre communauté.
Il ne faut pas pour autant minimiser le rôle de Rosa Parks dans les combats antiségrégationnistes dans lesquels elle a toujours été active.
L'Histoire avance: en 1964 le Civil Rights Act est une loi qui interdit toute forme de discrimination dans les lieux publics et en 1965 le Voting Rights Act, supprime les tests et autres taxes pour devenir électeur aux États-Unis.

Pourquoi Claudette Colvin ne convenait-elle pas?

Plusieurs hypothèses ont été avancées:
- Trop libre, pas assez chrétienne: On découvre que Claudette Crow est enceinte d'un homme marié, cette grossesse scandaliserait aussi bien la communauté afro-américaine que les blancs qui soutiennent la lutte contre les lois ségrégationnistes.
- Trop jeune: à 15 ans elle n'est pas assez mature et n'a pas assez de charisme
- Trop pauvre: les militants de la NAACP étaient majoritairement issus de la classe moyenne et ne voulaient pas que cette lutte soit représentée par les milieux modestes
- Trop noire: c'est le critère le plus surprenant de la part des militants de la NAACP, en effet ils estiment qu'elle est trop noire, aussi bien de par l'incarnation de sa peau que par le fait qu'elle refuse de se lisser les cheveux comme le faisaient la majorité des femmes noires et qu'elle porte des tresses africaines.

Que devient Claudette Colvin?

Après le procès elle retourne à son lycée et s'efforce de finir son année scolaire, elle est ignorée, moquée par ses camarades ce qui la plonge dans une profonde dépression.
En 1956 elle donne naissance à un garçon dont la couleur laisse supposer que le père est blanc, elle est renvoyée de l'école. Elle finit par quitter l'Alabama et s'installe à New York. Elle y travaillera comme aide-soignante. Elle ne s'est jamais mariée, son premier fils meurt à 37 ans d'une crise cardiaque après des années d'addiction à la drogue et à l'alcool, son deuxième fils sera comptable. Claudette Crow n'a jamais revendiqué une part dans cet héritage historique. 

C'est un écrivain Phillip Hoose qui va braquer les projecteurs sur cette femme. Il lui faut 4 ans pour la convaincre de lui raconter son histoire qu'il couche sur le papier dans Claudette Colvin : Twice Toward Justice) paru en 2009. 
Ce livre remporte plusieurs prix et permet au monde de découvrir que Rosa Parks n'était pas la première à avoir refusé de se lever.

Fred Gray son avocat déclare le 1er mars 2009 dans une interview donnée au magazine Newsweek : "Claudette nous a donné à tous un courage moral. Si elle n'avait pas fait ce qu'elle a fait, je ne suis pas certain que nous aurions pu mener à bien le soutien à Mme Parks"
Claudette Colvin assure au New York Times n'avoir gardé aucune amertume:
"Je sais dans mon cœur qu'elle (Rosa Parks) était la bonne personne"
" Je suis fière de ce que j'ai fait. Je pense que ce que j'ai fait a été une étincelle et que cela a pris. "
Claudette Colvin profite de sa retraite à New York et refuse désormais toute rencontre pour parler de son passé.


Claudette Colvin a-t-elle été victime de colorisme?

"Le colorisme est une forme de discrimination propre à une communauté qui se distingue du racisme, même s'il en est issu. Elle différencie les individus selon la clarté de leurs peaux, une peau plus claire étant considérée comme "plus jolie". 

Le colorisme peut être considéré comme une recherche de ressemblance au colonisateur" Frantz Fanon

C'est en 1983 que l'écrivain Alice Walker utilise pour la première fois le mot "colorisme" dans son livre "In Search of Our Mothers' Garden" pour définir cette discrimination basée sur la hiérarchie des nuances de couleurs.
Les peuples qui ont été colonisés, noirs, maghrébins, asiatiques ont intégré ces notions de stigmatisation. Ce sentiment d'infériorité qui pousse à mépriser sa culture, sa langue. Ce sentiment qui pousse à lisser ses cheveux, à éclaircir sa peau, à agrandir ses yeux etc....

De nos jours encore tout est fait pour perpétuer les stéréotypes. On retrouve cette forme de discrimination dans les publicités, les séries télé, le mannequinat où les peaux noires plus claires sont privilégiées.

Mais heureusement les choses changent, et en ce qui concerne les cheveux le look afro sans artifice se développe, d'abord comme un acte militant, comme chez les Black Panthers, pour devenir juste une façon de se coiffer, tout simplement, sans suivre la mode des canons de beauté imposés par la société.
Evidemment il ne faut pas tomber dans le travers inverse et ne considérer comme digne et fière uniquement cette façon de se coiffer.



Rosa Parks et Martin Luther King - Diner en l'honneur de Rosa Parks
Phillip Hoose et Claudette Colvin - Prix pour son livre


Liens utiles
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Tania de Montaigne raconte Claudette Colvin
Au spectacle chez soi "Noire" Replay France5



Ilham Seghrouchni - Mémoire et Dignité

dimanche 14 mars 2021

Mickaël Joron: messager infatigable et passionné de l'Histoire de la Réunion - Esclavage et Marronnage



La loi du 21 mai 2001, dite loi Taubira, reconnait les traites et les esclavages comme crime contre l'humanité. La loi a été adoptée par le Parlement le  et promulguée le 
Le 10 mai a été choisi comme journée nationale de commémoration des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition" depuis 2006.
Du 07 au 12 Mai 2021 aura lieu "la semaine régionale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition". Cette semaine est organisée par le collectif Africa50 et les associations Jeunesse Art Culture Sport et Mémoire, Synergie outre-mer et le Conseil Représentatif des Français de l’Outre-Mer (CREFOM).
La situation sanitaire liée au Covid-19 a conduit à l'annulation de plusieurs évènements prévus cette semaine, les organisateurs ont néanmoins tenu à maintenir une émission table ronde débat "Loi Taubira, 20 ans après", qui sera enregistrée et diffusée à partir du 10 Mai sur les réseaux sociaux, parmi lesquels celui de la ville de Villeurbanne, plusieurs thèmes y seront abordés.  
Mickaël Joron participera à cette semaine, il est un auteur-compositeur-interprète, dessinateur de bandes dessinées et réalisateur de courts métrages animés, né le 06 avril 1987 à Saint-Pierre - La Réunion. Il nous fait découvrir, entre autre, le marronage, cette révolte des esclaves, partie méconnue de l'Histoire de France. Retrouvez son impressionnant travail à travers ses livres/BD et vidéos.


Interview de Mickaël Joron Loni Gauliris


Mémoire et Dignité
Vous êtes auteur-compositeur-interprète, dessinateur de bandes dessinées et réalisateur de courts métrages animés. Vous avez 33 ans, quel est votre secret pour faire autant de choses et avoir autant de casquettes ?

Mickaël Joron
Bonjour, je suis honoré d’être interviewé par votre média. Pour répondre à votre question, je me laisse guider, je ne force pas les choses. Tout me vient naturellement, parce que j’aime ce que je fais. Alors rien n’est parfait bien sûr, l’erreur est humaine comme on dit et comme tout humain j’en fais. Néanmoins mon leitmotiv c’est la foi que je place en moi-même, en mes capacités et en la petite lumière qui me guide. Je suis un animiste, je marche beaucoup au ressenti, aux messages et aux signes. Tout est énergie et l’énergie ne ment jamais. Si je sens que je dois emprunter un chemin, le magnétisme des choses m’emmènera sur ce chemin. Ma polyvalence dans mes créations, vient aussi du fait que je suis issu d’une famille d’artistes. Je suis né avec cette vibre artistique, cette curiosité d’autodidacte. Je suis aussi quelqu’un de très indépendant, j’ai la manie de vouloir tout faire tout seul, ce qui a tendance à me jouer des tours. Je devrai être moins borné et apprendre enfin l’interdépendance. Mon secret c’est l’audace mais aussi la détermination. Quoique l’on dise de mon travail, qu’on l’encense ou qu’on le critique. Je sais que je dois continuer ma mission. Les réunionnais sont très proches de leurs ancêtres et pratiquent différents rites ancestraux. A un moment nos entités nous donnent des missions de vie, approuvées par l’être suprême. Tout cela pour diverses raisons, comme pour guérir la lignée, achever ou perpétuer une œuvre. Moi ce que je crois savoir, c’est que je suis dans une mission et que je n’ai ni le droit ni l’intention de m’arrêter.


Mémoire et Dignité
En 2019 vous créez l’association LOA « Leaders of Africa », pouvez-vous nous en parler?

Mickaël Joron
C’est une association qui a pour objectif premier une collaboration étroite entre la Réunion, le Mozambique mais aussi toute l’Afrique Australe. Nous sommes aussi dans la promotion de la culture afro-descendante de notre région. Nous sommes dans un territoire où nos populations sont liées par le sang, la culture, l’histoire. Le nom du LOA est inspiré des LWA du voodoo haïtien. Je compte moi-même une ancêtre haïtienne dans mon arbre généalogique. Notre organisation a pour base mon groupe activiste KOZ KAF, c’est le socle du LOA. Notre association est devenue internationale grâce à nos actions en Afrique de l’Est notamment au Mozambique (notamment lors de la levée de fonds pour les populations de Beïra et Cabo Delgado lors des passages des cyclones Idaï et Kenneth). On a aussi mis en connexion différentes entreprises et organismes réunionnais avec des sociétés et associations mozambicaines. Là encore nous avons été ouverts d’esprit et polyvalent dans la gestion du relationnel sur le terrain. Le LOA a donc différents contacts et ramifications que ce soit en Afrique du Sud ou au Mozambique. Dans l’esprit de la KOZ KAF nous étendons notre présence par la qualité des personnes et non par la quantité. Un bel exemple concret, c’est notre connexion avec Ivan Augusto LARENJEIRA, un philanthrope mozambicain, président de l’association IVERCA. Il a été nommé meilleur entrepreneur en 2019 par le ministère du tourisme mozambicain. Ivan a pris en main le ghetto de Mafala, un grand quartier de la capitale Maputo. Il a même construit un musée d’art en plein milieu du ghetto. Il a créé de l’emploi. Il est venu nous voir à la Réunion et nous avons créé le contact entre la KOZ KAF, LOA & IVERCA. Ainsi, sa vocation s’ancre dans le développement durable des liens entre les personnes volontaires et de qualités d’Afrique Australe.


Mémoire et Dignité
Vous vous définissez comme afro-réunionnais, pourquoi une telle terminologie ? Est-ce une volonté de faire une investigation mémorielle sur les origines à l’instar des recherches de Lisa AUBREY ?


Mickaël Joron
Afro-réunionnais est tout simplement un dénominatif utilisé pour souligner notre spécificité dans le pays réunionnais. Nous sommes la seule communauté à être arrivée sur l’île de la Réunion dans la cale des navires négriers. Nous avons donc une histoire spécifique qui diverge des autres communautés qui composent la nation réunionnaise. Ce n’est pas pour diviser mais pour souligner comme je l’ai dit plus haut. L’investigation mémorielle est nécessaire, le devoir de mémoire permet de ne plus recommencer les erreurs du passé, d’effacer l’ignorance et le concept abominable de la hiérarchisation des races. L’investigation mémorielle à l’image du travail de Lisa AUBREY, nous permet de nourrir l’égrégore de nos aïeuls, nous rendre plus fort et surtout nous aimer tel que la nature nous a faite.


Mémoire et Dignité
Les français originaires de l’immigration africaine devraient-ils adopter cette terminologie pour affirmer leur identité?


Mickaël Joron
En Europe, il y a des tas d’expressions pour définir la communauté noire présente depuis des millénaires sur le sol européen. A l’instar du Cheddar Man âgé de 10 000 ans, l’ancêtre noir des britanniques. N’oublions pas que la mutation des peuples est réelle dans le parcours de l’humanité. Ainsi en Grande Bretagne on peut entendre le terme Black British. Néanmoins quand nous disons Afro-réunionnais, cela n’énonce en mon sens aucune dissonance cognitive, la Réunion étant en Afrique Australe. Le réunionnais est par essence un africain, néanmoins rajouter le préfixe afro, met en évidence la particularité généalogique de la personne et n’entre pas ici dans une thèse racialiste. Tout le monde est libre de se définir comme il le souhaite, néanmoins en France, les afro-descendants sont bel et bien présents et ont joué un grand rôle dans l’histoire du pays. La communauté noire française existe, qu’on le veuille ou non. Beaucoup ont conscience de leurs origines africaines mais vivent sur le sol français depuis plusieurs générations. Ce ne sont en aucun cas des immigrés, si l’on s’en tient à la définition de ce mot. Les anglo-saxons appelleraient ces français, des Black French, en référence aux Black British. Je suppose qu’en français on dirait simplement des français noirs. Néanmoins, par mon histoire particulière avec la France, mes ancêtres ayant obtenus la citoyenneté française sur papier en 1848 ; Après l’abolition de l’esclavage. Je ne sais pas si je suis le mieux placé, pour répondre à cette question qui concerne spécifiquement l’immigration récente. Mon angle d’approche et ma vision des choses se retrouvent influencés par mon histoire personnelle. Cependant, j’ai tout de même tenu à vous répondre avec sincérité.


Mémoire et Dignité
Que pensez-vous de la semaine métropolitaine des mémoires de l’esclavage des traites et leurs abolitions qui sera organisée dans la région de Lyon par le collectif Africa50 et l’association Jeunesse Art Culture Sport et Mémoire autour du 10 mai ?


Mickaël Joron
Comme je vous l’ai dit plus haut, cela relève de la nécessité du devoir de mémoire et de l’investigation mémorielle. C’est une bonne chose, ce que font le collectif Africa50 et l’association Jeunesse Art Culture Sport et Mémoire. Mais surtout, c’est un acte indispensable pour que l’humanité grandisse. L’ignorance fait encore des ravages sur notre planète, d’où l’explosion de violence, mais aussi la pratique encore courante de l’esclavage sur des territoires qui n’ont pas fait la démarche du devoir de mémoire. L’éducation est le seul outil réellement efficace pour sauver le genre humain.


Mémoire et Dignité
Ces commémorations du 10 mai à travers la France sont-elles trop limitées à la traite transatlantique?


Mickaël Joron
Oui. Je pense qu’il faut étendre la question à aujourd’hui. L’esclavage est encore une réalité de nos jours. C’est une problématique actuelle et non passée. Néanmoins dans l’histoire, il n’y a pas eu que la traite transatlantique. Il y a eu de l’esclavage sur les 5 continents malheureusement.



Mémoire et Dignité
Grace à vos livres, bandes dessinées et vidéos, nous découvrons l’Histoire de l’ile de la Réunion : l’esclavage, le marronnage…. Pourquoi ce pan de notre Histoire est-il si peu connu en Métropole ?


Mickaël Joron
Pendant longtemps, cette période de l’esclavage et du marronnage a été volontairement mise sous tabou dans la société réunionnaise. Sous prétexte de ne pas déclencher de heurts. Nous avons beaucoup de points communs avec les brésiliens sur la question noire ; D’ailleurs même nos faciès sont similaires. Nous avons même des ancêtres communs, mozambicains, angolais ou même portugais. La Réunion a donc promu « le métissage et l’harmonie » comme imagerie populaire, occultant par la même occasion les questions sur la discrimination, la ségrégation sociale dans une société post-esclavagiste. Quand une question gênante est posée à la Réunion, on a tendance à montrer du doigt celui qui la pose. A l’époque On disait de la personne qu’elle voulait diviser, agresser la sensibilité blanche et généralement on la faisait taire. Pour que des gens comme moi puissent parler librement d’esclavage et de marronnage, beaucoup de mes anciens ont dû donner leur vie. Quand la société réunionnaise a accepté que l’on parle enfin de l’esclavage dans les années 70-80, cela s’est inscrit dans l’émancipation de la culture afroréunionnaise. En effet durant cette période on arrête l’interdiction absurde de jouer du Maloya (la musique des afro-descendants) et de pratiquer le Moringue (l’art martial des afrodescendants). Mais il n’est pas encore question de parler du marronnage. Parce que le marronnage sous entendait que les noirs n’étaient pas dans la victimisation mais dans l’autodéfense. En effet, le marronnage réunionnais a emmené la création d’un empire marron tout comme au Brésil ou en Haïti. Notre empire recouvrait 80% de l’île de la Réunion, un territoire où l’autorité du Roi de France ne valait rien. Les Rois et Reines marrons ont donc prononcé l’indépendance des noirs des montagnes de la Réunion. Le marronnage demeura donc une question taboue dans notre société. Néanmoins il faut rendre hommage aux deux historiens afro-descendants Prosper EVE et Sudel FUMA (paix à son âme) qui ont fait un travail gigantesque sur la période du marronnage à la Réunion. Tout cela grâce aux archives des procès-verbaux des marrons capturés qui décrivaient sous la torture le fonctionnement de l’empire marron. Il faut aussi remercier le médecin afro-descendant Louis Timagène HOUAT (1809-1883) et l’écrivain Ti Blan Eugène DAYOT (1810-1852) ; Deux contemporains des marrons qui ont fourni de multiples écrits sur cette période pittoresque. Pour toutes ces raisons, le récit de la période de l’esclavage et du marronnage réunionnais a eu du mal à arriver jusqu’en France. Mais les barrières sautent avec le développement de l’internet, des plateformes et des réseaux sociaux. Et croyez-moi, c’est une histoire qui mérite d’être connue car cette période nous montre la résilience de tout un peuple.


Mémoire et Dignité
Votre livre « Anecdotes illustres » ainsi que l’association LOA (Leaders of Africa) ont été répertoriés par la prestigieuse Bibliothèque Nationale du Congrès Américain. Votre livre « Mafia créole » est distribué au Japon et en Angleterre. Comment expliquer cette reconnaissance anglosaxonne et internationale du talent et des compétences indépendamment des parcours et des origines contrairement à la France ?


Mickaël Joron
C’est un phénomène que l’on remarque avec beaucoup d’artistes et sportifs français issus de l’immigration africaine et qui finissent par s’épanouir hors de France. Nul n’est prophète en son pays. C’est à cela que l’on reconnaît le travail authentique. Mon travail a tendance à déranger et c’est une bonne chose. Mais honnêtement en France il y a quand même une petite reconnaissance. C’est dans mon pays la Réunion que les choses coincent, parce que je parle de sujets brûlants. Mais je reste positif. Marcus Garvey lui-même a vu les jamaïcains lui tourner le dos à l’époque. Mais il était adoré en Afrique, aux USA (même s’il y comptait de nombreux ennemis) et en Angleterre. Ce n’est qu’après sa mort que les jamaïcains l’ont appelé prophète. On doit avoir le même karma lui et moi. Un exemple positif devant eux, quelqu’un à qui ils puissent s’identifier, une lumière pour ne pas sombrer.



Mémoire et Dignité
Vous êtes intervenant pour le Ministère de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports, quel est le contenu de vos interventions?


Mickaël Joron
C’est le même contenu que je dispense en vidéo sur ma chaîne YouTube « Papa Mike » mais en plus approfondi. Deux heures de cours sur l’histoire réunionnaise et surtout le marronnage, avec des ateliers ludiques mêlant dessins et écritures. Je parle aux jeunes de mon parcours de dessinateur, réalisateur, d’écrivain et je leur partage des techniques de créations. A chaque fois, je leur parle de ma vie dans les quartiers difficiles et de comment j’ai fait pour rester droit. Du nombre d’amis, cousins, oncles, connaissances qui ont perdu la vie durant leur jeunesse dans ma ville. Vous savez ma ville Saint-Louis a la réputation d’être dangereuse. Mais elle reste la ville de la tradition réunionnaise, de la résistance anti- esclavagiste et de la spiritualité animiste. Donc, quand je vais dans les écoles de ma ville, je veux mettre l’accent sur ce qu’il y a de positif. Quant aux sujets tels que les gangs, la drogue, les meurtres, les guerres de rues lors des périodes électorales, les journaux sont là pour en parler. Pour ma part, je veux que les collégiens voient un exemple positif devant eux, quelqu’un à qui ils puissent s’identifier. Une lumière pour ne pas sombrer










Ilham Seghrouchni - Mémoire et Dignité


A quand le LCR Zbeida Saidane pour rendre hommage à une femme humaniste et engagée?

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